MON INTERVENTION au Conseil Municipal PERPIGNAN du 16 septembre 2010.
J’ai le souvenir de cet après midi de juin 1962, où ma mère attendait à Port Vendres le retour de sa sœur, femme d’un fonctionnaire d’Alger. Les paquebots El Mansour , El Djezair, Ville d'Alger effectuaient d'incessants aller-retours. L’apercevant enfin, ainsi que ses enfants, elle me dit bouleversée : « Ils ont tout perdu, mais ils sont là !».
Aujourd’hui, presque 40 ans plus tard, après une longue période de silence propre aux traumatismes de guerre, une occasion nous est donnée ici, à Perpignan, au sein de ce Conseil Municipal, de réfléchir à ce retour du refoulé qu’incarne ce projet intitulé « CREATION DU CENTRE DE DOCUMENTATION DES FRANÇAIS D'ALGERIE / LABORATOIRE DE PENSEE SUR LES EXILS ».
Vous ne le nommez pas MUSEE, bien que composante du POLE MUSEAL DE LA VILLE DE PERPIGNAN.
Vous le qualifiez de LABORATOIRE DE PENSEE SUR LES EXILS.
Sans rentrer dans une analyse sémiologique qui serait fort intéressante…, transpire là, votre difficulté à habiller, voire à justifier en termes « politico-culturels corrects » un projet dont nous connaissons tous ici, non seulement l’enjeu mémoriel mais disons-le, l’enjeu électoral.
Mais le débat est beaucoup trop sérieux pour que nous nous contentions d’une énième polémique qui permettrait à chaque clan de jouer la partition attendue.Revenons donc sur ce que ce terme de LABORATOIRE DE PENSEE SUR LES EXILS dont vous remarquerez d’ailleurs le singulier de « PENSEE » et apprécierez tout de même le pluriel d’ « EXILS ».
Comme dirait les ados d’un ton direct : « C’est quoi le message ? »Je vous demanderai de nous éclairer sur ce point, histoire de nous rassurer sur un éventuel lieu qui fabriquerait LA pensée sur les exils. Là aussi, le mot Exils témoigne moins d’un embarras qui serait le vôtre, que d’un choix délibéré de déplacer le champ qui nous occupe ici, à savoir celui de l’HISTOIRE COLONIALE de la France, vers celui, tout aussi légitime « DES EXILS INTERIEURS ».
Car ce dont il est question, c’est bien le rapport entre l’histoire et les mémoires coloniales. Et il serait grave de ne pas s’interroger sur la façon dont entrent au Musée les histoires tragiques et encore conflictuelles : quels textes, quels documents, quelles photos, quelles chansons vont représenter ce passé et marquer l’imaginaire collectif ? S’agit-il, comme le prône la loi du 23 fév 2005 obtenue de hautes luttes par des associations de pieds-noirs, de sanctuariser une communauté et le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ?
Nous le savons, certains groupes militent pour la transformation de leur mémoire en histoire officielle. Prenons-y garde. La collectivité publique qu’est la Mairie de Perpignan ne peut satisfaire à des revendications identitaires, y compris sous forme de « prestations » symboliques comme la construction d’un Centre de documentation dont le message serait univoque.
Et force est de constater que la présentation que vous nous en faite aujourd’hui est très loin de garantir la pluralité et la diversité des discours, des sources documentaires, des témoignages, leurs qualités historiques … et donc des mémoires.Un tel projet mémoriel concerne bien évidemment tous les citoyens mais il ne peut s’extraire ou s’exclure des questions liées à l’immigration et à l’histoire coloniale de la France. Cela peut au contraire constituer une opportunité pour, non pas fabriquer LA pensée des exils mais, permettre l’élaboration d’un récit historique « vrai » dont la vocation est de rassembler (pieds-noirs, Harkis, français non-citoyens devenus Algériens, les immigrés en provenance d’Algérie, les opposants à la guerre d’Algérie, les anciens combattants et appelés du contingent …) et non d’exclure.
Mais ceci n’est possible qu’à 3 conditions :- se soumettre à une méthodologie stricte dont un conseil scientifique, autonome et disposant de pouvoirs décisionnels, serait le garant
- ouvrir le partenariat au-delà du Cercle Algérianiste en créant une commission mémoire où les associations sont représentées dans leur diversité
- en étant propriétaire, nous la collectivité, du fond de recherche.
« La mémoire est une quête de vérité »
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